Un vieux fou de cinéma japonais au FFM 2015 Première partie  

par Claude R. Blouin

 

Avant le festival


Le vieux fou de cinéma japonais continue à placer 2015 sous le patronage du peintre Hokusaï et de son recueil Manga. Il y puise l’invitation à se concentrer sur ce qui jaillit: il ira au Festival des films du monde, pour lui le plus lié à cet aspect de son travail qui consiste en chroniques. Il n’aura raté qu’une édition, en 1999.

Grâce à ce festival, il aura rencontré des cinéastes qui l’auront instruit, du temps où il avait l’occasion, en voyageant, de voir d’avance les films. Ainsi les entrevues faites pendant le festival ne venaient pas détourner sa critique de la direction donnée par un premier visionnement. Depuis, il évite d’interroger les réalisateurs sur leurs films avant d’avoir écrit au moins le texte de base de sa critique. Et comme tout file en dix jours, neuf ou dix films, il préfère laisser passer ce moment. D’autant que l’audience qu’ils en retireraient, ces cinéastes, aurait les limites de celle du médium qui depuis 1996 lui accorde généreusement carte blanche.

Il n’empêche que l’entrevue a d’autres vertus que de conforter l’estime de soi d’un artiste assez considéré pour qu’à ce qu’exprime son œuvre, on puisse désirer lui offrir l’occasion d’ajouter son point de vue. Pour le vieux fou, l’entrevue peut consoler d’avoir raté une projection, l’inciter à rester aux aguets pour le voir, mais surtout, quand il a pu faire l’expérience du film, permettre de mesurer entre ce qu’il a perçu de l’oeuvre et ce que le cinéaste croyait avoir fait, cet écart qui l’instruit sur le jeu des subjectivités, aussi bien que sur la nature du médium. Et parfois, comme dans l’entretien que François Lévesque a publié le 28 juillet dans Le Devoir, entretien avec l’acteur Michael Ironside, cela donne le sentiment d’une miraculeuse rencontre.

Ses textes auraient-ils eu cet effet sur ses lecteurs ? Le fou de cinéma japonais garde un souvenir ému des entrevues réalisées en sa jeunesse sans autre interprète que sa bonne volonté avec Hiroshi Teshigahara et Masaki Kobayashi, puis, plus tard, plus serein parce qu’accompagné de l’interprète attitré du FFM, Minoru Tsunoda, avec Kei Kumai. Mais ce festival a été source d’autres rencontres. Parfois le souvenir est avivé de celui des conditions dans lesquelles elle s’est faite : avec Imamura, Marcel jean, Françoise Wera, face à Kobayashi : deux générations de Québécois touchés par le retour de celui qui avait marqué leur jeunesse. Ou encore, les rencontres sous la marquise du cinéma Parisien avec Yoshitaka Kamada ou Tetsuo Shinohara, le souper avec Hideo Osabe au Symposium, la promenade avec Masayuki Suo, la journée avec Kaneto Shindo.

Toutes ces rencontres instructives en cinéma, humainement denses, à cause du Festival des film du monde et du privilège d’être accrédité pour rendre compte des rythmes de la condition humaine rendus sensibles par les films.

Toutefois, vieux fou, tu ne cours plus après ces rencontres, tu préserves la fraîcheur des impressions et la vivacité des idées suggérées par le visionnement du film : tu ne veux plus qu’interfère ta perception de la personnalité du cinéaste telle que la rencontre la livre, avec celle qui se donne à voir par son œuvre. Car c’est bien la modulation des traces laissées par le film qui donnera et au spectateur et au cinéaste, si d’aventure il prend connaissance de ton texte, le témoignage de la lecture rendue possible par le film, la possibilité dès lors de comparer, voire de revenir en mémoire, pour une relecture, vers le film, ainsi rendu à une vocation qui dépasse celle de la simple occupation de temps : il devient occasion d’en méditer le sens.

Si la réputation du festival décline au rythme de son énergie, du moins en son pays et en Europe, il se trouve qu’en Asie, et en particulier en Chine et au Japon, il garde toute son aura. À preuve : vingt et un films, plus un court métrage ! D’où la décision de découper en deux parties ce compte-rendu.

Et puis à lire les synopsis, on dirait que la sélection couvrira plus de genres et des films de tons plus divers que par les années passées, de quoi donner une image plus nuancée de la cinématographie japonaise. Deux documentaires, un film avec robots, un autre avec ninja, un film en compétition qui touche une période connue des amateurs québécois de mangas, une promenade en somme dans des milieux divers, des riches aux pauvres. Les noms d’Oshii, d’Ishii sont à peu près les plus connus au Québec, mais Shoji Kubota est un habitué du FFM. Les noms qui s’illustrent à Cannes ou Berlin sont absents : à nous le risque de la découverte.

Mais que gagne donc à venir ici la délégation japonaise ?

Pour les cinéastes indépendants, le FFM est occasion de rencontrer un distributeur étranger, de recevoir des commentaires écrits par des gens dont la culture cinématographique, plus que le partage de la culture nationale, constitue le filtre de base. Pour les équipes des films en compétition, c’est le moment à la fois d’aguerrir les troupes en vue du lancement à venir au Japon (tout se rode, des fonctions de chacun dans l’équipe de promotion aux réactions face aux commentaires) et pour leurs réalisateurs la chance, selon les critiques, d’être déroutés par des questions qui sortent de celles que les attachés de presse ont prévues.

Pour un distributeur qui visite une douzaine des grands festivals, le FFM demeure le plus commode tant pour l’accès à une variété de films d’une variété de pays qu’avec les producteurs ou distributeurs de passage, le tout sans les complications administratives, cartons d’invitation requis ailleurs.

Va sans dire qu’un vieux fou de cinéma, bien que son médium n’ait pas l’influence des quotidiens locaux ou de revues spécialisées d’ici et d’ailleurs, est habituellement fort bien accueilli des équipes japonaises : il évoque des liens avec d’autres cinéastes ou des concepts près du langage habituel des gens de cinéma.

Le critique doit à ce festival d’avoir pendant quelques années pu publier en une revue japonaise, parce que son ambassadrice trouvait à sa prose quelque manière inédite au Japon de parler du cinéma de son pays. Grâce à ce festival, Radio-Canada et les divers quotidiens, du temps où il allait au Japon, l’invitaient à donner des tuyaux sur ce qui pourrait intéresser leur lecteurs ou les éclairer sur tel aspect moins apparent de la culture japonaise.

Aussi n’est-ce pas sans émotion qu’il aborde cette édition, non sans trouver stressantes les courses entre deux films, l’organisation d’un horaire qui tienne compte des chevauchements : il est vrai que la carte de presse permet de compenser par l’accès à une vidéothèque, commode quand on est sollicité pour un entretien qui a lieu avant la projection ou simplement pour voir un film qu’on raterait si l’on était dépendant de l’horaire de projections.

On peut, à cette vidéothèque, être pris en flagrant délit de découverte par le réalisateur lui-même, comme cela lui est arrivé avec le spirituel Kazuyuki Morosawa.

La vraie question : ce vieux fou de cinéma japonais sera-t-il en forme ?

À son âge, dans son état, savoir d’avance ce que le corps pourra, voilà qui lui paraît outrecuidant de prétention.

Mais tout de même, comment, cette année, rater le FFM ? Allez, s’il sent bien le temps venu de laisser la place, comme chroniqueur, à de plus jeunes et alertes et autrement informés critiques, il veut jouer le jeu de saisir, au FFM, dans leurs mouvements d’humeurs et de rythmes, l’esprit des films, comme autant de pièces pyrotechniques. S’assurer un dernier tour de piste sur ce parcours dont l’annonce marquait le début de l’année scolaire, du temps où il enseignait, la fin d’été encore.

Avec le FNCM en octobre, il bouclera son parcours de chroniqueur, deviendra l’essayiste moins à l’affût de l’actualité que désireux d’explorer ce qui l’interpelle, d’y revenir, de défendre la mémoire de certaines oeuvres.

Avec le luxe de pouvoir regarder deux, trois fois un film avant de le commenter !

Octobre est loin.

Que réservera-t-il, ce FFM 2015, en qualité de films nippons ?

Qui viendra ?

Viendront-ils encore, les critique, les distributeurs, la déléguée d’un organisme de défense du patrimoine cinématographique, abonnés annuels ?

Allons, allons, pépère, livre-toi à une bordée, à cette folie d’enchaîner les univers émotifs en peu de jours ; laisse se manifester les liens autrement inaudibles, et que ce rapprochement dans le temps du festival rend possible.

Et puis n’y a-t-il pas le plaisir de croiser ces cinéphiles, dont tu ne connais pas le nom, mais bien le visage, et qui te renvoient, malgré eux, le reflet du passage du temps en toi ?


 


 




Compétition premières oeuvres


Kaguramede Yasuo Okuaki


Kagurameoppose une fille à son père. Elle lui reproche d’avoir été absent aux derniers jours de sa mère. Au nom de son engagement dans le maintien d’une tradition d’ailleurs réservée aux hommes. Qu’est-ce donc qui mérite d’être préservé, à quel prix, tels sont les thèmes que le synopsis annonce, thèmes qui reviennent en d’autres films de la sélection.

Un Kagura est une danse sacrée qui prend selon les villages une forme particulière. L'importance du maintien et du renouvellement de la tradition, le cinéaste l'assume au plan du genre en retrouvant les traits propres au mélodrame illustré par la compagnie Shochiku: d'un côté positif, attention aux gens qui assument les routines quotidiennes avec cœur, poids du passé, importance du paysage dans le rythme de la vie sociale; cadrages récurrents où les personnages sont montrés en interaction avec les objets, lieux. Côté plus usé, tendance à sur utiliser une musique par elle-même juste, ici avec ses tonalités enfantines qui conviennent si bien à un personnage dont la vie d'adulte est marquée par une interprétation erronée d'un épisode d'enfance. Sur utilisée par exemple pour une scène  de retrouvailles joyeuses avec une tante, la musique perd de l'efficacité qu'elle trouve en d'autres occasions, lors de l'excellent début, jusqu'au générique. Sur utilisation aussi de gros plans de gens dont la bonté ou la joie sont réaffirmées ainsi sans que le nombre de plans n'ajoute à l'impression initiale. Absence de surprise narrative: plusieurs verront venir les motifs du meurtre commis par un personnage ou ceux de l'absence du père à la mort de la mère ou la manière dont se marque le revirement d'attitude de la fille envers le père.

Inscrit donc dans une tradition assumée, le cinéaste d'emblée souligne en le présentant au public matinal la part autobiographique de son récit, le double deuil qui encadre le tournage et par là dispose le spectateur à accueillir ce témoignage. Un vieil homme lui-même en voie de décider de cesser une activité, lui-même sensible aux vulnérabilités du corps, ne peut que se  sentir interpellé.  Mais cela peut expliquer aussi qu'il rechigne à ce qui surligne ce que le jeu juste des comédiens et le génial début exprimaient déjà avec puissance. Le cinéaste, en effet, y montre, dès l'abord, son héroïne mal à l'aise avec son propre secret; elle se montrera plus prompte à interroger les autres sur leur rapport avec leurs actes qu'à reconnaître ses propres secrets, et cela ne se fera qu'à cause de la modestie de celle qui ne peut être pour elle qu'une intruse, la nouvelle compagne de son père. Les gros plans d'objets portent sur des éléments vivants, fleur ou libellule, mais les plus fréquents mettent en cause une amulette, un protecteur dit le terme japonais, puis son contenu, du quartz. La pierre devient ainsi expression d'affectivité, et si le miracle attendu ne se produit pas, on est invité à comprendre qu'un autre advient, celui de la réconciliation et de la continuité, par transmission d'une passion.

Le sens du cadrage qui établit la connivence d'un personnage avec son environnement, l'attachement à ce que peuvent nous apprendre nos proches, le prix de l'écoute et de l'aveu constituent les points autour desquels le cinéaste semble parti pour construire sa propre grammaire.

Les retours en arrière, aussi bien que la volonté de saisir dans sa violence la situation des personnages âgés comptent aussi parmi les mérites de cette première oeuvre, qui montre un cinéaste en voie de digérer les traits signifiants de la tradition cinématographique dans laquelle il veut s'inscrire, et, pour la maintenir, vivante, marquer de sa propre voix.



Autres sections



Akai Tama de Banmei Takahashi


Perle de sang tourne autour de questions auxquelles ne peut qu’être sensible un vieillard, plus avancé que le personnage dans l’expérience de la vieillesse, et partagé pendant sa vie active entre l’enseignement de la littérature et du cinéma et l’écriture, comme celui du film entre l’université et la réalisation de films.

Verra-t-on un Lolitanippon, récit raconté du point de vue de l’enseignant qui se dépeindrait passif, à la merci de la jeune femme ? Et s’excuserait ainsi de cette transgression de l’interdit : celui qui exige que la fonction d’initiateur à la connaissance ne se serve pas de son rôle pour satisfaire ses manques personnels ? Ou aura-t-on droit à une version racontée d’un point de vue extérieur, ou de celui de la jeune fille ?

Quoi qu’il en soit, la bande-annonce laisse penser à un mélange des genres : psychologique, méditatif et érotique. Par ce dernier, les cinéastes japonais ont souvent trouvé moyen de souligner, d’un côté, l’écart entre normes sociales, affirmation du primat de l’harmonie et, de l’autre, confusion intérieure, solitude des individus. Banmei Takahashi s’y est illustré plusieurs fois, en particulier par des films sur la torture, qui n’hésitaient pas à établir des correspondances avec le contexte politique. Il a été collaborateur de Koji Wakamatsu et s’est attaqué à plusieurs genres.

On peut espérer que, avec La Perle rouge, la fusion des genres sera favorisée par la présence dans le rôle principal d’un acteur chevronné, à la tête ascétique, Eiji Okuda, lui-même cinéaste sensible et attentif aux contre-courants des vies intérieures de ses protagonistes : son Nagai sampo s’est mérité le Grand Prix en 2006 au FFM. Et Takahashi s’appuie pour le rôle principal sur la comédienne Fujiko, associée à des rôles où le personnage se défend de se laisser enfermer dans UN rôle ou une manière de l’incarner (Strange Circus).

En un mot, le héros devrait se trouver devant sa dernière chance de sonder ce qui compte vraiment pour lui et ce qui relève du réalisable.

Le vieillard fou de cinéma japonais n’est donc pas vierge de questions au moment d’aborder le film de Takahashi, cinéaste capable de passer de l’évocation du penseur zen Dôgen au portrait d’une dominatrice. Avec 38 films à son actif, il s’est fait connaître à l’étranger par des films sur le kinbaku, l’art du nouage.

Voyons comment Perle de sanga su nouer ou pas les éléments susdits.

La perle rouge renverrait à une légende en laquelle le professeur qui la conte, un ancien réalisateur, ne croit pas. En vérité, il s'en défend et le film raconte comment s'entrelacent peurs de perdre sa créativité d'artiste et de devenir sexuellement impuissant. Or, comme At Home, avec le personnage du faussaire qui souligne l'importance de la vraisemblance, l'ancien cinéaste affirme de même que l'apparence de réalité est l'objet du cinéma. En fait, on pourra penser que cet enseignant, soucieux de vérité quant aux exigences de son métier, enseigne à partir de ses insuffisances et des préoccupations qu'il a avec le sens de son travail. Avec le risque inhérent de projection (on est au cinéma !) que cela comporte.

On nous fait croire tantôt réellement, tantôt imaginairement engagée dans la vie de l'artiste en attente de projet, une jeune fille qui indique que le réel a l'air du rêve, et le rêve du réel. Takahashi serait plutôt partisan de rendre réel l'imaginaire, quitte à jouer sur le besoin de croire du spectateur. Le personnage du créateur s'inspire-t-il ou pas de ce qu'il vit, sa secrétaire modifie-t-elle ou pas le scénario qu'elle tape, le vieil homme qui regarde le film, du fait d'être plus vieux que le héros, a-t-il trop tôt pressenti la scène de la fin, ou n'aurait-il que souhaiter pour le personnage qu'il ait avec l'adolescente cette relation d'un père conscient d'avoir raté quelque chose?

On dirait que Banmei Takahashi s'accommode de la lumière ambiante, et ce, peut-être, si l'on se réfère à ce qu'il inscrit dans le texto de la fin, par fidélité à la réalité de ses conditions de tournage. Les scènes les plus fréquentes impliquent la relation sexuelle et la boisson, avec une récurrence qui traduit une hantise. À la manière d'un documentaire pris sur le vif, sans souci de composition, le cinéaste transpose l'errance spirituelle du héros, mais soudain voici, surréalistes, des scènes clairement présentées comme fantasmées, et cela confirme à la toute fin l'intuition du spectateur vieilli: contrairement à d'autres films qui, en ce festival, posent la question de l'aveu, du poids du silence, de la nécessité de la transmission, fut-ce de nos erreurs, celui-ci, si l'on cherche ce qui le singularise, retrouve cet aspect récurrent de l'esthétique des films de genre, le consentement à ce qu'existe en chacun une violence interne, en contradiction avec les comportements ou appris ou rêvés: Takahashi estime qu'il faut la libérer. Ce film se singularise par l'affirmation qu'il faut au moins avoir la franchise de ses fantasmes. Au risque de sombrer dans la confusion entre fantasmes masturbatoires et écriture. Ou de reconnaître que celle-ci n’est bien que l’ombre des premiers.

Entre pétales de cerisiers présentés jusque dans leur chute neigeuse et érables rougis et flocons, avec les feuilles réfléchis dans une eau elle-même traversées de mouvements, le récit, par moments, réussit à ensorceler, un peu comme ces roman pornodes années 1970, où l'on évoquait ce que l'érotisme permettait de libérer de fantasmes associés, en toute crudité, si ce n'est que la loi et le genre obligeaient, comme le fait Banmei Takahashi dans ce film, à placer de façon opportune, devant le sexe censément nu, de la mousse, un bout de peignoir. Par là, c'est bien l'acte plus que l'organe qui serait mis en vedette...

Comment vieillir, faut-il quitter une activité ou se  consoler en se disant qu'on est cinéaste tant qu'on a un projet? Jusqu'où transmettre un art implique-t-il qu'on intervienne avec la matière première de l'art, l'énergie de la vie? Et, question à mille dollars, le premier courage d'un enseignant n'est-il pas,  quand il n'en a plus la force, a fortiori quand il ne croit plus à son travail, de prendre sa retraite?

Banmei Takahashi ne dit pas pour faire quoi.

À chacun d'affronter ses démons.





At Homede Hiroshi Chono


At home raconte l’histoire d’une familledont les membres partagent deux secrets, dont l’un est révélé assez tôt, et l’autre beaucoup plus avant. Il y est question de fugueurs, de maltraitance d’enfants, de violence conjugale, mais pas seulement. Sans doute le film réclame-t-il quelque crédulité de la part du spectateur. On ne sait rien de la réaction ultérieure des familles dont proviennent les fugueurs, et des problèmes suscités éventuellement par leur disparition. On voit les fils du père manipuler une arme qui devrait jouer un rôle dans le plan de celui-ci pour assumer la responsabilité de l'acte de son benjamin. Le vieil homme fou de cinéma passe outre, tant l'inventivité de la narration l'emporte dans un film qui passe de manière vraisemblable de la comédie au thriller au film plus centré sur les relations interpersonnelles. Plus une agréable surprise qu'un film qui nous hante après la projection.

Objet le plus souvent mis en valeur, incarnation du rêve, la boule de verre est associée à ce qui peut manifester l'admiration du cinéaste pour la dextérité et le travail bien fait: ce qui favorise vol ou falsification. Or on sent là un reflet non seulement de valeurs propres aux personnages, mais aux attentes du réalisateur: l'exécution des coups, leur scénarisation renvoient au cinéma. Cette famille fonctionne comme une équipe de tournage. 

Mais la famille Moriyama est ancrée dans le Japon moderne, les enfants y sont branchés, unanimement admiratifs des moyens pris par les membres, mais malgré tout s'assignant des limites. Et le fait de mettre en évidence les objets : loquet, outil du faussaire, rappelle par quoi ils partagent les valeurs communes. D’ailleurs ces objets ont partie liée avec ce que symbolise la bulle de verre et la maisonnette qu’elle contient.

Et ce rêve est relié à ce dont le prix ne se fixe pas en argent.




Ninja gari de Seiji Chiba


Ninja Hunter frappe certes par la virtuosité de la chorégraphie des combats, mais aussi celle des déplacements de caméra, et le travail des costumiers qui s'inspirent de l'uniforme des motards et des punks. Cette transposition de Rashomon(Akira Kurosawa) en rend non seulement un lieu, le temple, mais la proposition du scénario: ici sous la forme d'un même combat présenté en plusieurs versions. L'inclinaison de la caméra et la course en forêt rappellent aussi le Kurosawa.

Mais la scène répétée, sauf en son plan final, ne montre pas vraiment sous un nouveau jour le héros lui-même et les événements. L'avant-dernière bataille permet, grâce au personnage du Renard de montrer plus de variations. Mais cela n'est pas suffisant pour me toucher du sort des personnages ou me donner à penser sur les conséquences de l'amnésie ou la tentation de la trahison. La finale goren'apporte guère à mon expérience. Sans doute un amateur de jeux acceptera-t-il plus volontiers ces longues scènes de combats.


Norainu Ha Dansu Wo Odorude Shoji Kubota


Le déclin d’un assassintouche un thème récurrent de la sélection de cette année : la volonté ou la nécessité de changer de vie, ici celle d’un bandit qui cherche à modifier pour la « normalité » son ancien art de vivre.

Nora inuatteste du chemin parcouru par Shoji Kubota depuis les premiers films présentés au FFM. Il maîtrise tout à fait l'art de placer les personnages sur un fond que découpent, en angles aigus ou en larges surfaces vides, les droites suggestives du monde sans émotions qui est celui du héros.

Tueur à gages, il apparaît en maître pour ses deux assistants, passeur d'une tradition donc. Mais sa propre excellence contrarie son désir de prendre sa retraite. Et ce, non seulement parce que les jeunes n'ont pas hérité d'une conception du métier qui, aux yeux de celui qui commandite le meurtre, le rend efficace, mais parce que, sans doute par pratique assidue, le gentil tueur a le meurtre dans le sang.

Qu'il puisse vouloir d'un autre rythme de vie, la musique nous le suggère, jusque par les notes d'une guitare aussi seule que le protagoniste. Et pas de fausses notes dans le ton du récit, un sens du montage tel que ce qu'aurait de trop austère l'épuration des lignes devient source d'une émotion mystérieusement issue du classicisme des compositions visuelles que traversent les mouvements aux tempos variés des seuls vivants ou des lumières ou des véhicules aux teintes sobres animent.

Bresson chez les yakuzas.

Comme chez Oshii, et plus encore, les personnages acceptent comme allant de soi le fait de donner la mort, du moins quand ils sont les maîtres. Un tel univers de froideur nécessaire est-il bien en ce déclin qu'annonce le titre en français? On ne sent nullement que le cinéaste croit à la disparition du choix du meurtre comme mode de résolution de conflits entre gens de notre espèce. Il laisse néanmoins entendre que l'indifférence à l'endroit de l'acte à poser, du moins si l'on est lié à la cible, pourrait s'avérer plus difficile pour une génération éduquée à accorder du prix à ses émotions.

S'il y a continuité, elle se situerait moins au niveau de la transmission des traditions que du rythme que chacun donne à sa vie, rythme si difficile à modifier. Ce qui n'a jamais empêché de s'imaginer capable de danser autrement. Ainsi que le dit littéralement le titre japonais : le chien errant danse.

 


Sakurajima Syoshunde Hiroshi Toda


Dans Printempsprécoce à Sakurajima le personnage principal est établi dès le départ, par un gros plan de sa tête, suivi d’autres d’une poupée. De sa lampe de poche, il passe en revue ce qu’il y a sur ses murs, poupées et masques. Que cherche-t-il ?

Il peint.


Ce Printemps précoce à Sakurajimas'inscrit d'abord dans la foulée de films vus en ces trois premiers jours de festival.

Comme Perle rouge, il met en scène un vieil homme, un artiste qui doute de son talent et se demande pourquoi persister à vivre. Érotisme en moins. Ici, l’épouse aimée s’inquiète de la torpeur où sombre son mari, l’incite à se remettre à la peinture ; elle-même, dynamique, anime un cinéma de répertoire, le rêve d’une vie.

Comme en plusieurs autres oeuvres ici commentées, il est fait référence à ce que gagne un vieux à transmettre son savoir.

Comme en plusieurs autres aussi, il réaffirme que le mâle est un animal qui fait mine d'être fort mais est faible.

Et comme en plusieurs autres encore, le vieux critique, ancien prof, craint de se voir écrire, après avoir salué un usage prometteur de la musique au début, que cela dégénère. S'il y est contraint, on dira qu'il radote, non?

Il éprouve ce sentiment au moment où, dans un centre d'achat, retentit une musique qui n'apparaît pas reliée au décor, mais à une intention du cinéaste. Est-ce bien le cas? Le film file, et voici une, puis une deuxième danse hawaïenne, dansées par des amatrices qui semblent heureuses à ce faire, tandis que le vieux peintre dort et que le vieux critique se demande pourquoi le réalisateur étire ainsi la sauce, oblige à goûter ces danses jusqu'à épuisement. On a compris que les danseuses sont heureuses, allez !

Il disposait pourtant d'un indice, il n’est pas fou, pas encore. Voici en avant-plan, des fruits et une tasse de thé, et dans cette nature morte s'anime le peintre, insatisfait du tableau qu'il s'est mis à peindre pour répondre à une invitation de son épouse, inquiète de le voir déprimé.

C'est qu'il est détenteur d'une maîtrise devenue caduque avec la disparition de l'art de tissage qui la supposait. 

Autre indice qui aurait pu déjà mettre le critique dans la bonne disposition d'esprit pour entrer dans le jeu du cinéaste: voici une lune nettement dessinée, que regarde le peintre, toujours en quête de sujet. Mais voici plus tard, et là le critique a compris comment voir le film, voici, invisible du héros, le tableau que forme l'ensemble mobile des escaliers mobiles qu'il emprunte, carreaux mobiles comme du Vasarely ou ceux des robes de Paco Rabanne...

Et surtout, le cinéaste échappe au piège des photographes ou des peintres qui passent au cinéma, il cadre de manière rigoureuse, mais pas tout à fait comme il le ferait en photo, car il tire profit de l’élément vivant, mouvant.

Les sujets de tableaux sont partout, les peintres nous aident à apprendre à regarder ce que l'on croit avoir vu. Le cinéaste va plus loin, puisqu'il retarde la révélation de ce que l'on voudrait savoir. 

On aura compris que le fait de monter les plans et les scènes de façon à faire entendre l'ensemble d'un morceau est une invitation à apprendre à voir ce qui passe au présent, non ce qui sert l'histoire que nous font raconter nos préoccupations.

Le paradoxe, c'est que cet apparent oubli de la narration au profit de la contemplation du contenu d’un plan donne à la fiction le ton qui convient au travail du personnage.

Un voyant, borgne, utilise une loupe extrêmement grossissante pour lire le visage et les mains, voyant qui jongle avec des boules colorées de triangles, elles-mêmes sujets de peintures possibles. Il avise le héros que bon et mauvais sort dépendent de la lecture qu'on fait du réel. Ainsi le rythme du film donne-t-il l'impression au début de se chercher, alors qu'en fait il est conçu de manière à nous faire partager ce que ressent le peintre en quête de sujet, de tons et de style, de ce qui cherche en lui à vivre.

Du volcan Sakurajima, on pourrait dire qu’il veille sur la ville de Kagoshima ou la menace, selon le point de vue. Dès le début il se fait connaître par ses cendres en suspension dans l'air, avant que le spectateur ne soit convié à le regarder. Il apparaîtra sous un jour différent à plusieurs reprises, et la question que pose au peintre cette masse fumante se cristallise en lui, le tire de sa propre torpeur: à nouveau, comme un printemps précoce, font irruption le désir et la force pour créer.

Le cinéaste nous invite donc, sur le ton de la ballade, à une balade. Il croque des lieux et des gestes d'une ville que manifestement il aime, d'une façon qui me rappelle celle de Marc-André Pauzé, l'infirmier reporter-photographe, avec ses carnets et ses croquis (http://marcpauze.com/2015/06/le-kit-de-lartiste-voyageur/).

Un film tonique à voir dans un festival, au moment où l'on risque de fondre en un seul tous les films dont le vieux fou de cinéma redoute que le nombre et la proximité des visionnements ne lui fassent perdre le sens de leur singularité. C'est le prix à payer pour profiter des bienfaits des mêmes conditions pour saisir quelque chose du pouls du Japon, tel du moins qu'il se donne à voir.



Summer on the front linede Tetsuya Matsushima


Ce film, produit par une école de cinéma, sur fond du terrible tremblement de terre qui a dévasté le nord-est du Japon, laisse entendre que la vie est passible d’encore enchanter alors même qu’on la croyait dévastée.

C’est un film dont, si on en partage les valeurs, on voudrait dire qu'on l'a aimé sans réserves.

Ce groupe de quatre ados, rescapés de Fukushima, invités en Chine pour filmer leurs impressions d'un village, appelle notre identification. L'idée qu'ils ont de faire des recherches sur ce que c'était que d'être de jeunes Japonais, natifs de Mandchourie, et ayant 15 ans en 1945, est plus que légitime: nécessaire en ce qu'elle permet non seulement de mettre en perspectives leur propre malheur, ce qui permet d'en avouer les blessures, mais aussi d'opérer ce devoir de transmission, leitmotiv de la sélection japonaise au FFM. 

La reconstitution du passé est faite manifestement avec des moyens modestes, ce  qui parle, c'est la réalité des lieux, du paysage, d'abord montré en ses différences avec celui de leur pays natal. Le voyage les aura changés en ceci qu'ils seront sensibles, à la fin, aux ressemblances.

Sans apprendre de neuf autre chose, et c'est en soi important, que la singularité de l'expérience des jeunes envoyés en camp de travail, du moins pour les cinéphiles familiers de La condition de l'hommede Masaki Kobayashi, le film trouvera le moyen de surprendre par petites touches. On sent bien que l'hôte était du nombre des jeunes regroupés en ce camp de travail, mais lequel était-ce? Pourquoi les Chinois du village ne les ont-ils pas repoussés?

On s'intéresse aussi à l'impact de ce voyage sur l'acceptation de leur propre douleur: ils découvriront qu'ils sont eux-mêmes l'objet de ce qu'ils éprouvent pour les jeunes de 1945...

Mais on ne peut s'empêcher de trouver à quelques occasions la musique un brin envahissante et inutile, d'être gêné de répétitions plus explicatives qu'évocatrices. 

On s'étonne surtout, non parce qu'on met en doute la légitimité du choix de ce sujet, car le début laisse entendre qu'il s'agit pour les jeunes Japonais de donner leurs impressions sur le village, on s'attend donc qu'ils appliquent aux Chinois ce qu'ils retiennent du récit de leur mentor et hôte: quand on écoute l'histoire des gens, quand on comprend leur souffrance, on les aide. 

Or, à quelques plans près, le film se centre sur l'histoire de Japonais. On y entend et voit peu les Chinois du village hôte en proportion de la place prise par le retour sur l’expérience des Japonais. Certes nés en Chine. Mais à aucun moment on ne voit les Japonais autrement qu'en victimes, fut-ce de la trahison de leur propre armée, à laquelle ils ont servi de pions. Certes leur guide rappelle que pour les Chinois le Japon était l'agresseur, mais les victimes chinoises le sont, dans le contexte du récit, non par le fait des armées japonaises, mais de la traîtrise des Russes, présentés comme ayant rompu leur parole relative au traité de non agression unissant l'URSS et le Japon. 

Si l'on peut s'en étonner, on passe par dessus cela, dès lors qu'on accepte que le sujet annoncé ne soit pas le vrai thème du film. On glisse alors sur quelques gaucheries dans le jeu des acteurs au profit de leur sincérité, on pardonne les conventions de langage cinématographique à cause de moments de poésie dus à l'attention portée aux papillons, qui deviennent objet d'une histoire propre. On est ému des rapports établis entre les deux catastrophes, la guerre et le tsunami avec l'explosion de la centrale nucléaire. L'on comprend que les redites pédagogiques nous devaient nous rendre plus proches des adolescents.

On n'oubliera pas combien les peuples occupés par le Japon trouvent irritante cette manière de dénoncer la guerre en montrant les souffrances des civils japonais, sans, à partir d'archives pourtant disponibles,  glisser les traces de dommages causés par leur armée d'occupation, ou ce type de nuance faite par le guide en soulignant la haine des Chinois pour l'occupant en rappelant la réalité des bienfaits apportés malgré tout, c'est un fait, par la technique nipponne, y compris jusqu'à rendre prospère et moderne la capitale de la Mandchourie.

Mais cette réserve devrait disparaître en bonne partie grâce à l'intervention des vieillards soucieux d'une transmission juste, non seulement par l'aveu du fait que personne n'assume la responsabilité des catastrophes, mais en fournissant les moyens à la jeunesse de faire les choix qu'elle voudra. On sent bien que ce que les vieillards disent de Fukushima, ils doivent le penser de la manière dont le Japon a occupé la Chine.

Voici donc un film qui, d'une certaine façon, complète Yoko Zakura.


Za Nekusuto Jenereeshon Patoreibaa Shuto Kessen de Mamoru Oshii


The Next Generation Patlabor – Tokyo Warest une transcription quasi littérale du titre original, à ceci près que Tokyo s’y substitue à Capitale. Fantasia présentait Nowhere Girl, dont on peut lire dans un précédent article consacré aux films japonais de ce festival combien il m’a touché (http://shomingeki.jimdo.com/). En sera-t-il de même pour celui-ci, avec ses robots spécialement conçus pour faire la police de la cité ?

Oshii nous entraîne dans un univers uchronique, mais très près du nôtre. On s'y réfère à Bin Laden, à la guerre du Golfe, mais aussi, au niveau cinématographique, par le son et la lumière à Blade Runner et, dans le dialogue, à d'autres films de notre monde. Cela indique que les tourments des personnages sont partagés par un cinéaste qui va au-delà de ces références, nous plonge dans un son univers intérieur. L'atteste le fait que l'existence y paraisse mouvement perpétuel: la caméra bouge si les personnages ou l'eau ne le font... Sur le plan moral, on trouve une  avalanche d'informations, sous forme de données chiffrée et de sigles hiérarchiques: y correspond au plan esthétique un cadre surchargé, à l'image de ce plan d'ensemble de Tokyo, pris en mouvement, et qui montre l'amoncellement des bâtisses comme d'autant d'affects et de questions posées.

Deux statues symbolisent les deux élans dont la conciliation pose problème: l'une représente, vue de dos, la justice avec son fléau, l'autre un dragon contorsionné. Clarté, netteté d'un côté, mouvance incessante de l'autre.

Peut-on obtenir justice par l'injustice, avoir la paix en faisant la guerre, toute paix ne serait-elle que compromis avec l'injustice, le Japon se serait-il abrité sous le couvert de la victimisation pour s'épargner le fait d'assumer ses propres erreurs, mais aussi d’avoir à défendre son droit à la justice? On peut ne pas être d'accord avec les conclusions que l'on peut penser être les plus cohérentes avec ce que fournit le film, et ses silences, par exemple sur le besoin de sauver la face en politique comme ressort de bien des décisions: on ne peut que se laisser toucher par ce monde si proche du nôtre qu'il est moins une uchronie qu'une métaphore.

Ignorant des épisodes antérieurs, le vieil homme mentirait de laisser croire qu'il a tout saisi en ce seul visionnement (comme c'est la frustrante loi en festival) des explications d'un dialogue aussi touffu que le contenu des images.

Mais diable, se dit-il, quel cinéaste, pour ainsi réussir à fondre dans cette SF angoisse, humour, sensation de participation à une action qu'il ne fait que voir sur un écran, double de ceux, multiples, par lesquels les protagonistes affrontent le monde. D'ailleurs comment ne pas s'interroger sur cette admiration pour ainsi dire congénitale du cinéaste pour la puissance quand elle se conjugue à la dextérité, ainsi que cela se remarque en films d’autres auteurs commentés ici? Mais ici, la distinction entre bien et mal est aussi mobile que les êtres, que l'eau, que le missile ou l'hélicoptère : manifestement homo fabersuscite plus aisément le ah! d'admiration que l'homo sapiens, tant la sagesse semble toujours à réinventer.

Revient, explicite dans le dialogue, la question de la transmission, mais ici, conformément à ces éclairages où l'ombre domine, ce qu'une génération qui va laisser sa place est invitée à avoir le courage de révéler, c'est le moment, le lieu, l'occasion de son erreur. Et ce dont hériterait, avec obligation de le transformer pour le garder vivant, la génération suivante, ce serait de décider par elle-même ce qu'elle fera de cet aveu.

Élément non négligeable: il faut une femme pour venir à bout d'une autre, et dans ce film elles sont crédibles même lorsqu'il s'agit d'en imposer aux hommes physiquement.






Yoko Zakura de Gen Takahashi


Yoko The Cherry Blossom soulève la question du respect de la parole donnée, ici par un enseignant à des élèves que l’expérience de la guerre va rejoindre.

Yoko Zakura s'ouvre sur un Japon qui ressemble à ceux des films de Keisuke Kinoshita, puis, l'être humain s'y manifeste d'abord par un pas, ensuite un souffle, enfin la parole. Parole adressée à lui-même? À la branche qu'il félicite de sa beauté? À la pensée de la jeune fille qui lui succède au plan suivant? Quelle est donc l'origine de cette passion qui rend si loquace l'ancien prof, toujours enseignant, réitérant son invitation à travailler pour la paix, à s'affranchir du désir de supériorité qui pousse à la guerre?

Avant d'en venir au récit de l'expérience nourricière de cette passion exclusive, entêtée, on trouvera le portrait d'un Japon à la Yoji Yamada, celui que les Japonais aiment avoir d'eux-mêmes, avec la capacité de se moquer de l'envers des qualités que les Japonais mettent de l'avant. Au sens de reconnaissance envers la nature et les parents, au sens de dévouement à cette tâche apparemment limitée, et qui demande attention illimitée, à l'expression de cette reconnaissance due à la nature et aux parents et à ceux qui nous enseignent, par l'énergie mise à s'appliquer au travail, s'opposent, ou les complètent, les critiques amusées du snobisme, de la vénalité qui ferait perdre le sens de la gratuité, des rituels individuels qui font qu'expressions et réactions semblables reviennent, du respect des titres.

Masaki  Kobayashi vient en mémoire quand on voit la critique du comportement de l'ancien prof, inconsolable du rôle qu'il a joué à la guerre. Par la culture des cerisiers, thème incontournable de la représentation de soi au Japon, il n'y a pas que l'ancien prof à assurer la transmission des leçons tirées de l'expérience de la guerre par sa création d'une espèce nouvelle, née de boutures de deux pays, le sien et puis un étranger, et baptisée « Lumière du soleil »: le réalisateur lui-même apporte son sens propre du rythme, avec son attention au cadre naturel, le cadre où il choisit de montrer les cerisiers (voir Akai Tamapour une variation sur le thème millénaire), sa manière de tracer un parallèle entre être humain et lumière, le soin pris à montrer le poids sur autrui d'une passion exclusive, et à le faire en multipliant les a parte humoristiques, pour venir chercher notre propre sentiment de reconnaissance avec plus de force dans la scène qui suit.

On trouvera ici, dans ce récit inspiré d'une histoire vécue, un exemple de la façon dont quelqu'un d'une génération a pu confesser non seulement ses convictions, mais aussi la faute qui le tourmente. Et s’il ne s’absout pas, du moins tire-t-il les conséquences de ce qu’il ne se pardonne pas avoir fait en s’essayant de prévenir le retour du pire par un acte d’expression qui inclut goût de l’invention et fidélité à la tradition.

Peut-être consolera-t-il ceux envers qui il se sent redevable de cette faute dont il est seul à s'accuser, mais assurément son énergie oratoire aura-t-elle servi de libération à cette peine, à cette impuissance. Les inserts d’archives relatives à des guerres, à la chute de grands de ce monde, voire à celle des Tours de New York, semble contredire l’action du vieux fou. Mais en vérité, comme elle est née d’une riposte au pire, cette action devient source d’espérance : tout le monde ne reste pas contaminé par le désir de vaincre, il se trouve même après l’expérience de la défaite des personnes pour rêver, mieux, travailler à embellir le monde, le panser des blessures que notre espèce lui inflige.

À ceux qui peignent la décadence de notre monde, annoncent sa fin, mais avec tant d’application qu’on se demande s’ils ne l’espèrent pas ou n’y verraient pas le creuset de la vérité, Gen Takahashi oppose l’effort d’essayer de rendre crédible ce par quoi la vie pourrait être harmonieuse. S’il n’atteint pas le pouvoir d’étonner et de troubler d’Oshii (revoyez son Nowhere Girlou chercher le, a fortiori si vous choisissez le chemin des arts), du moins, comme Hiroshi Toda, tente-t-il de ménager une place à ce qui pourrait être scandaleux, tant cela paraît incroyable : il y a des êtres pour aimer, même sortis de l’enfer.

Une citation de Plotin revient périodiquement à la mémoire du critique : L’homme est ce qu’il regarde.

L’harmonie constitue probablement le sujet le plus difficile à aborder, car il suppose la confrontation avec le pire et la capacité de reconnaître qu’on en n’est pas dévasté. Alors comment la dire sans édulcorer ?

Cette tentation de croire inévitable la résurrection de la guerre n'est-elle pas partagée par la génération qui l’a connue, sait que disparaîtront bientôt les survivants encore capables de rappeler de quels mensonges et de quelles illusions se nourrissent les désirs de dominer par les armes? Dans l’activisme, il n’y aurait pas que l’amour de la vie : pourquoi pas, aussi, un soupçon de désespoir, que l’on refuse et attise donc par la même occasion ?

Un festival vous laisse avec des questions, ça remue, ça brasse, ça donne un sérieux goût de silence, question de voir ce qui demeurera.

L'homme qui plantait les cerisiers, comme quiconque persiste à une entreprise qui vise à donner du sens et relève du don et d'une autre économie que celle que symbolise l'argent, pourrait sembler se livrer à un acte dérisoire, si cette manière de vivre n'était pas déjà miraculeuse, formidable protestation contre la destruction.

Un détail qui m'a amusé : ce que le sous-titres désigne par le mot héros correspond au terme japonais dai sensei, littéralement grand maître...

C'est précisément du sens de cette responsabilité que le " héros ", le prof donc, souffre, c'est de là qu'il tire aussi son énergie.

En est-il de même pour le réalisateur qui doit considérer, comme un cerisier dont il sait l'hybridité, son film, Le cerisier, lumière de soleil ?

 



 


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